Histoires de Chine : Le triple serment du jardin des pêchers

Le fameux Roman des Trois royaumes s’ouvre sur un épisode pseudo-historique très célèbre, que l’on désigne en chinois sous le nom de « triple serment du jardin des pêchers » : 桃园三结义 [táoyuán sān jiéyì] (桃园 [táoyuán] : verger de pêchers, 结义 [jiéyì] : se jurer fidélité), parfois abrégé en « serment du jardin des pêchers » (桃园结义 [táoyuán jiéyì]).
Nous sommes à la fin de la dynastie des Han de l’Est, sous le règne de l’empereur Lingdi 灵帝 [língdì] (156-189). Le gouvernement impérial est en butte à l’un des maux récurrents de l’histoire de la Chine classique : les eunuques de la cour impériale s’immiscent indûment dans les affaires du gouvernement, pour leur seul profit, faisant fi de ce qui serait bon pour l’Empire. On a pour ce phénomène une expression chinoise figée : 宦官干政 [huànguān gànzhèng] (宦官 [huànguān] : eunuque ; 干政 [gànzhèng] : intervenir dans les affaires du gouvernement)。
Une petite remarque sur la désignation des eunuques : outre le terme 宦官, on utilise aussi en chinois le mot, plus courant, de 太监 [tàijiān]. Le « clan des eunuques » qui intervient dans les affaires impériales est aussi désigné sous le terme péjoratif de « parti des castrés » : 阉党 [yāndǎng], auxquelles appartiennent les eunuques proprement dits, mais aussi ceux qui conspirent avec eux.
Les derniers empereurs de la dynastie des Han de l’Est se distinguent par leur incompétence et leur faiblesse. Ils sont incapables de gérer l’Empire, qui est en proie à l’anarchie et soumis à la tyrannie de tyrans locaux. Ajoutons à cela des catastrophes naturelles nombreuses, les impôts et les corvées, et l’on comprend que le peuple n’a pas d’autre issue que se révolter. On dit en chinois que c’est le gouvernement qui pousse le peuple à la rébellion : 官逼民反 [guān bī mín fǎn].
C’est ainsi qu’éclate en l’an 184 la célèbre « révolte des turbans jaunes » : 黄巾起义 [huángjīn qǐyì] (le caractère 巾 [jīn] désigne à l’origine une bande ou un carré d’étoffe qu’on se met sur la tête : un turban ou un fichu, on utilise d’ailleurs en chinois moderne le mot 头巾 [tóujīn] pour désigner le foulard que l’on met sur la tête ; 起义 [qǐyì] signifie « révolte, rébellion »).
Alors que le gouvernement impérial donne l’ordre aux autorités locales de recruter les hommes valides pour résister aux turbans jaunes, dans la ville de Zhuozhou (涿州 [zhuōzhōu]), dans l’actuelle province du Henan, trois hommes font connaissance : Liu Bei (刘备 [liú bèi], 161-223), lointain descendant d’une branche déchue de la maison impériale des Han, Zhang Fei (张飞 [zhāng fēi], décédé en 221), boucher de son état, et Guan Yu (关羽 [guān yǔ], décédé en 220), militaire en fuite après avoir commis un meurtre. Les trois hommes se découvrent le même idéal patriotique, et décident de combattre ensemble pour tenter de restaurer la paix dans l’Empire. Pour cela, ils décident de se faire frères jurés en prêtant serment dans le « jardin des pêchers » de la demeure de Zhang Fei.
Le texte de leur serment, archi-connu, est le suivant :
不求同年同月同日生,只愿同年同月同日死 : Nous ne pouvons pas demander à être nés à la même date, mais nous espérons que nous pourrons mourir le même jour.
Si ces trois personnages ont réellement existé et combattu ensemble, tous les historiens s’accordent à penser que ce fameux « triple serment du jardin du pêcher » est une pure invention de l’auteur du roman. Cet épisode pseudo-historique n’en reste pas moins l’un des épisodes les plus connus de « l’histoire » de Chine. Cet épisode est le symbole du patriotisme chinois par excellence : on y voit s’unir des hommes de grande valeur qui renoncent à tout pour le bien de leur patrie. L’image des trois frères jurés a fréquemment été utilisée dans l’histoire de Chine pour parler du patriotisme.
(Au prochain épisode, nous retournerons à l’époque de la guerre de résistance contre le Japon, pour parler du non moins fameux « incident de Xi’an ».)

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3 commentaires pour Histoires de Chine : Le triple serment du jardin des pêchers

  1. Decebal dit :

    J’ai une édition abrégée « pour enfants » du roman des 3 Royaumes. C’est remarquable et truffé d’idiomatismes.

    La première phrase du premier chapitre 桃园三结义 est la suivante :

    东汉末年,皇帝无能,宦官专权,加上地震、水灾、旱灾接连不断,天下大乱,盗贼四起,百姓生活水深火热之中。

    Elle comprend une autre expression intéressante 宦官专权 au sujet des eunuques qui ont pris et monopolisent le pouvoir.

    • pascalzh dit :

      Dans cette phrase, on peut aussi remarquer deux autres expressions intéressanntes :
      四起 proliférer/surgir de tous côtés
      水深火热 eau profonde et feu brûlant : plongé dans de grandes souffrances

  2. Ping : Pour le plaisir : Bœuf à la Zhang Fei (张飞牛肉) | Sinogastronomie

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