Langue populaire et argotique (1) – La Princesse de la Paix Suprême

(Je profite du déménagement de Sinoiseries.com pour relire/corriger/compléter les anciens billets de Sinoiseries.)
En Chine, parler de l’aspect physique d’une femme est considéré comme inconvenant (on ne doit pas 品头论足 pǐntóu lùnzú : littéralement “commenter la tête et discuter des pieds”). Cependant, comme tous les corbeaux du monde sont habituellement noirs (天下乌鸦一般黑 tiānxià wūyā yībān hēi : tous les hommes sont bien tous les mêmes), les Chinois ont inventé une foule d’expressions populaires et/ou argotiques pour décrire le corps féminin.
Et comme, c’est bien connu, on a toujours envie de ce qui est inaccessible, l’un des caractères physiques qui importe le plus aux hommes chinois est la poitrine de leurs compagnes, dont ils considèrent qu’elles manquent pargois d’un peu de relief.
En effet, les rondeurs féminines qui font les délices de nous autres Gaulois font le plus souvent cruellement défaut aux descendantes de Nüwa (女娲 nǚwā qui, selon la légende, était la sœur cadette du grand Fuxi (伏羲 fúxī), l’un des premiers empereurs légendaires de la Chine – auquel on devrait l’invention des caractères – et qui modela les hommes avec de la boue). Pour parler trivialement, elles sont étaient plates comme des limandes, au point qu’il existe en chinois un certain nombre d’expressions imagées (et moqueuses !) pour décrire la regrettable absence de ces rondeurs affolantes.
Ces poitrines sont souvent comparées à :
– Des pistes d’aéroport : 飞机场 fēijīchǎng, qui signifie en fait “aéroport”. Une piste d’aéroport se dit plus exactement 飞机场跑道 fēijīchǎng pǎodào, mais par souci d’économie, on dit simplement 飞机场 fēijīchǎng. En termes de BTP, on fait en effet rarement plus plat qu’une piste d’aéroport.
– Des canards désossés : 板鸭 bǎnyā. Le canard désossé, littéralement “canard-planche”, est une spécialité culinaire que l’on trouve dans plusieurs villes chinoises, la version la plus célèbre étant celle qui est confectionnée à Nanjing (南京 nánjīng) (Nankin). Le canard est désossé et aplati jusqu’à avoir la forme d’une planche de bois. (Vous saurez tout sur les canards plats de Nankin et d’ailleurs sur la partie encyclopédique de l’un des principaux moteurs de recherche chinois : Baidu (百度 bǎidù). Voir ici.)
Mais mon expression préférée reste celle utilisée dans le titre de ce billet : 太平公主 tàipíng gōngzhǔ, que le sinologue distrait ou manquant du contexte approprié pourrait traduire par « Princesse de la Paix Suprême ». J’ai appris cette expression auprès d’une amie taiwanaise, qui, voulant dire que la chanteuse populaire singapourienne Stéphanie Sun (孙燕姿 sūn yànzī) était un peu décharnée au niveau du buste, me dit : “又是太平公主一个!”(yòu shì tàipíng gōngzhǔ yīge, « C’est encore une Princesse de la Paix Suprême, celle-là ! ») (Si vous voulez juger par vous-même, je vous renvoie encore une fois à Baidu, cette fois sur la page consacrée à Stéphanie Sun, à cette adresse. Je donne aussi ci-dessous une image qui illustrera mon propos. Cette photo vient d’ici.)
Cette expression mérite une petite explication. Le nom « Princesse de la Paix Suprême » est tout à fait plausible pour une princesse impériale, mais le gredin qui se moque d’une jeune femme un peu maigre, prend le caractère 平 píng dans le sens de « plat » , et non dans le sens de « paix ». Quant au caractère 太 tài, traduit ici par « suprême », il est utilisé ici pour renforcer le sens de « platitude ».
Méfiez-vous donc si un jour vous entendez parler de 太平公主 : il n’est pas sûr que votre interlocuteur soit un féru d’histoire impériale et vous conte les aventures sentimentales de la fille d’un empereur célèbre !

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