Joli texte : Li Qingzhao, Quatrain d’été

Li Qingzhao (李清照 [lǐ qīnghzào], 1084-1155) est sans doute la plus connue des poétesses de l’histoire de la littérature chinoise. Elle est renommée surtout pour ses poèmes chantés (词 [cí]), mais elle composa aussi quelques poèmes réguliers (诗 [shī]), dont seul un petit nombre est parvenu jusqu’à nous. De plus, les quelques poèmes réguliers que l’on connaît d’elle font en général pâle figure comparés à ses poèmes chantés.
Li Qingzhao a cependant écrit un poème régulier qui est resté fameux : le « Quatrain d’été » (《夏日绝句》 xiàrì juéjù). Il s’agit d’une quatrain en pentamètres (五言绝句 [wǔyán juéjù]). Je vous en propose ci-dessous ma traduction, puis le texte chinois, et enfin un commentaire succinct.
Le quatrain d’été
On doit mener sa vie en brave, Et mourir en héros.
On se souvient encore de Xiang Yu, Qui refusa de s’enfuir à l’est du Fleuve.
《夏日绝句》
生当作人杰,死亦为鬼雄。
至今思项羽,不肯过江东。
Li Qingzhao eut la malchance de vivre à l’une des pires époques de l’histoire de Chine : elle assista en effet à la déconfiture des Song qui, attaqués par les Jin, durent leur abandonner tout le nord de la Chine. En 1227 eut lieu la tristement célèbre « humiliation de Jingkang » (靖康之耻 [jìngkāng zhī chǐ], jingkang étant le nom de la première ère (1126-1127) du règne de l’empereur Qinzong des Song 宋钦宗 [sòng qīnzōng]), c’est-à-dire le sac par les Jin de la capitale impériale Bianjing (汴京 [biànjīng], ou Bianliang 汴梁 [biànlíáng], aujourd’hui Kaifeng 开封 [kāifēng], dans l’actuelle province du Henan), pendant lequel furent kidnappés l’empereur en place, ainsi que l’empereur-père et de nombreux membres de la famille impériale. Cette humiliation fut insupportable pour les Chinois, et elle est évoquée par de nombreux poètes de l’époque des Song du Sud (voir par exemple le poème chanté Manjianghong (《满江红》[mǎnjiānghóng) de Yue Fei (岳飞 [yuè fēi]) : « L’humiliation de Jingkang n’est pas encore lavée. Quand notre colère s’éteindra-t-elle ? » (靖康耻,犹未雪。臣子恨,何时灭。)
Après l’humiliation de Jingkang, le mari de Li Qingzhao, Zhao Mingcheng (赵明诚 zhào míngchéng), fut nommé préfet de Jiankang (建康 [jiànkāng], aujourd’hui Nanjing 南京, dans la province actuelle du Jiangsu). Une nuit, une révolte éclata à Jiankang et Zhao Mingcheng, plutôt que de chercher à réprimer cette révolte, abandonna lâchement son poste et prit la fuite.
Xiang Yu (项羽 [xiàng yǔ], -232~-202) est bien sûr le fameux général des Chu de l’Ouest, qui tenta de conquérir le trône impérial, mais qui fut finalement défait à Gaixia (垓下 [gàixià]) par Liu Bang (刘邦 [liú bang]), le fondateur de la dynastie des Han. De honte, Xiang Yu refusa de s’enfuir pour regagner son territoire à l’est du Changjiang, alors qu’un bateau l’attendait pour lui faire faire la traversée. Il préféra se suicider. (J’avais publié sur Sinoiseries, en juillet 2020, un billet consacré au fameux Chant de gaixia (《垓下歌》) attribué à Xiangyu, voir ici.)
La plupart des commentateurs considère que ce poème de Li Qingzhao est un reproche adressé à la fois à tous ceux qui ont préféré fuir devant les armées des Jin plutôt que résister, et à son mari qui avait abandonné son poste.
Pour en savoir plus :
Sur Li Qingzhao, l’article en français Wikipedia
Sur l’humiliation de Jingkang, l’article en français sur Wikipedia
Sur ce quatrain, l’article en chinois sur Baidu
Ci-dessous, un portrait de Li Qingzhao (Source : Cui Cuo (崔错), attributed to Zhao Bingzhen school, GFDL, via Wikimedia Commons) :

Publicité
Cet article, publié dans Non classé, est tagué , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s