Jinologie (et joli texte) : Xin Qiji, A la fleur de prunus

Au chapitre VIII de la Légende des Héros aux Condors, après que Huang Rong a révélé à Guo Jing qu’elle était en réalité une fille déguisée en jeune mendiant, elle lui chante une chanson. En fait de chanson, il s’agit d’un poème chanté (词 [cí]) de l’un des maîtres du genre : Xin Qiji (辛弃疾 [xìn qìjí], 1140-1207, militaire et mandarin de l’époque des Song du Sud), poème dont le titre peut se traduire en français par « A la fleur de prunus » (赋梅 [fù méi]).
La fleur de prunus (梅花 [méihuā), ou abricotier du Japon (Prunus mume) est l’une des fleurs préférées des poètes chinois. Les poèmes qui citent du prunus de comptent par milliers, il existe même un genre de poésie appelée « ode au prunus » (咏梅诗 [yǒngméishī]). Mais ce poème de Xin Qiji est particulièrement fameux.
Dans l’article consacré à l’abricotier du Japon, Wikipedia explique que, en Chine, « une production de fleurs abondante, roses ou blanches, à la fin de l’hiver au début du printemps, exhalant un parfum délicieux, sur des branches apparemment mortes et à une époque où au Nord la neige est encore présente, contribue à faire partager à cet arbuste les vertus symboliques du héros confucéen, entièrement dévoué aux principes éthiques et faisant face aux adversités avec persévérance. Sa floraison splendide mais éphémère l’a fait aussi associer avec la beauté, la pureté et les côtés transitoires de la vie. » (cf. ici)
Des exégètes de l’œuvre romanesque de Jinyong pensent que le poème de Xin Qiji chanté par Huang Rong n’est cité que pour mettre l’accent sur la beauté presque irréelle de la jeune fille.
Jugeons sur pièce (après ma traduction, suit le texte en chinois, complété de quelques notes) :
Xin Qiji – L’immortel à la grue de bon augure – A la fleur du prunus
La froidure du givre hivernal traverse le rideau. Sous la lune et les légers nuages, la fine glace subsiste. Se mirant dans le ruisseau, elle exhale son parfum et sa beauté ; en vain on voudrait imiter son fard. Peau de jade et silhouette frêle, pétales superposés, elle semble vêtue d’une fine gaze. Sous le vent printanier, avec son sourire enchanteur, elle lui suffirait de jeter un regard autour d’elle pour que de honte les myriades de fleurs se fanent.
Solitude. Quel est son pays natal ? Le jardin après la neige, le pavillon au bord de l’eau. Ancien rendez-vous au lac de jade, qui saurait porter sa missive ? Les papillons frivoles n’ont d’attentions que pour le pêcher et le saule, peu leur importe qu’elle fleurisse à foison sur la branche du Sud. Tristesse, déchéance dans le crépuscule, lamentations de la trompette ornée.

辛弃疾《瑞鹤仙[1]·赋梅》
雁霜[2]寒透幙[3]。正护月云轻,嫩冰犹薄。溪[4]梳掠[5]。想含香弄粉,艳妆难学。玉肌瘦弱,更重重[6]、龙绡[7]衬着。倚东风[8]、一笑嫣然,转盼万花羞落。
寂寞。家山何在?雪后园林,水边楼阁。瑶池[9]旧约,鳞鸿[10]更仗谁托?粉蝶儿、只解寻桃觅柳,开遍南枝未觉。但伤心、冷落黄昏,数声画角[11]
Les commentateurs s’accordent en général pour penser que ce poème de Xin Qiji doit être compris comme une métaphore, le poète prenant pour prétexte le destin de la fleur de prunus évoquée dans le poème pour exprimer sa tristesse à ne pas réussir à obtenir un poste à la hauteur de son talent et de ses ambitions. Pour un commentaire plus complet de ce poème, je vous invite à lire l’article que lui consacre Baidu, ici.
Ci-dessous, Prunus à l’encre (《墨梅图》 [mò méi tú]), du peintre Wang Mian (王冕 [wáng miǎn], 1287-1359), conservé au Musée de Shanghai (Image du domaine public) :


[1] 瑞鹤仙 ruìhèxiān : « l’immortel à la grue de bon augure » est simplement le titre de la mélodie sur laquelle était chanté ce poème
[2] 雁霜 yànshuāng : littéralement, « givre de l’oie sauvage », désigne le givre hivernal
[3] 幙 mù : variante du caractère 幕, rideau
[4] 奁 lián : coffret avec miroir (dont les femmes se servaient pour se coiffer et se maquiller)
[5] 梳掠 shūlüè : se coiffer et se maquiller
[6] 重重 chóngchóng : s’applique aux pétales empilés les uns sur les autres
[7] 龙绡 lóngxiāo : (= 鲛绡 jiāoxiāo) fine gaze de soie
[8] 东风 dōngfēng : le vent de l’Est, i.e. le vent du printemps
[9] 瑶池 yáochí : le Lac de jade (lac légendaire sur les monts Kunlun, dans la résidence de la Reine Mère de l’Ouest 西王母)
[10] 鳞鸿 línhóng : (= 鱼雁 yúyàn) lettre, missive
[11] 画角 huàjiǎo : littéralement « corne peinte », ancien instrument à vent

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