Littérature chinoise et gastronomie : Les centipèdes frits de Hong-le-septième

Avant toute chose, je dois des excuses aux lecteurs de ce blog : j’avais annoncé à l’épisode précédent que nous parlerions cette fois-ci des « lombrics » frits de Hong-le-septième, mais ma mémoire m’a trahi : il ne s’agit pas de lombrics (ou « verres de terre », en chinois 蚯蚓 [qiūyǐn]), mais de centipèdes (ou mille-pattes, ou scolopendres, ou myriapodes, ou chilopodes, ou myriapodes… le terme chinois utilisé, 蜈蚣 [wúgōng] est trop générique pour que l’on puisse préciser l’espèce exacte).
Or, ce détail est essentiel, car le mille-pattes se trouve dans la liste officielle des « cinq venimeux » (五毒 [wǔdú])(1), appellation collective sous laquelle les Chinois désignent les cinq représentants du règne animal qui sont les plus venimeux de la création ! Si l’on ignore cela, on comprend mal l’histoire des centipèdes frits de Hong-le-septième.
(1) Les « cinq venimeux » sont : le scorpion (蝎 [xiē], dans le langage courant on dit plutôt 蝎子 [xiēzi]), le serpent (蛇 [shé], « serpent venimeux » se dit 毒蛇 [dúshé]), le mille-pattes, le gecko (壁虎 [bìhǔ]) et le crapaud (蟾蜍 [chánchú]). La présence de ces deux derniers animaux dans la liste m’intrigue un peu, car à ma connaissance, le gecko n’est pas venimeux, et seuls certains batraciens le sont. Sans doute s’agit-il d’espèces particulières ?
Les connaisseurs de Jinyong auront probablement reconnu dans « Hong-le-septième » le nom du légendaire chef de la « Bande des mendiants »(2) : Hong Qigong (洪七公 [hóng qīgōng]), dont nous parlerons bientôt dans la série consacrée à la Légende des Héros du Condor, bien connu pour sa gourmandise hors normes.
(2) 丐帮帮主 [gàibāng bāngzhǔ] ; 丐帮 [gàibāng], la « Bande des mendiants », est le nom d’un groupe de mendiants qui intervient de façon récurrente dans différents romans d’arts martiaux. 帮主 [bāngzhǔ] est un chef de bande. 帮 [bāng] signifie « bande », comme dans 四人帮 [sìrénbāng] : la fameuse « Bande des Quatre ».
L’épisode qui nous intéresse se trouve au Chapitre 10 (dernier chapitre du volume I) du roman qui suit la Légende : le 《神雕侠侣》 [shéndiāo xiálǚ], titre qui a été traduit en anglais par The Giant Eagle and it’s Companion (je remarque avec un sourire que 雕 a été traduit par « condor » dans un cas, par « aigle » dans l’autre. Il est vrai qu’il ne s’agit pas du même oiseau dans les deux romans, mais il ne s’agit en tout cas ni de condor, ni d’aigle…). Dans cet épisode, Hong-le-septième rencontre par hasard Yang Guo (杨过 [yáng guò]), le personne principal du roman, au sommet du mont Huashan (华山 [huàshān])(3). Hong vient de poursuivre un groupe de malfaisants pendant cinq jours et cinq nuits, et il est pris d’une fringale irrésistible. En toute amitié, il invite Yang Guo à partager son repas.
Il commence par faire chauffer un chaudron d’eau chaude (Hong emporte toujours avec lui sa batterie de cuisine, pour les cas d’urgence), puis entraîne Yang Guo au sommet d’un pic escarpé. Là, il va déterrer un coq qu’il avait enfoui la veille pour attirer tous les centipèdes se trouvant dans les environs (en effet, la chair du coq est apparemment pour ces animaux un mets de choix). Il récupère ainsi une centaine d’exemplaires de ces animaux.
(3) Attention, ici le sinogramme 华 se prononce bien au quatrième ton : [huà] ; cette montagne légendaire se trouve dans l’actuelle province du Shaanxi. Elle est le « siège » de l’école du mont Huashan (华山派 [huàshānpài]), école d’escrime célébrissime, que l’on retrouve aussi dans de nombreux romans d’arts martiaux.
Il commence par ébouillanter son tableau de chasse. Il coupe ensuite la tête et la queue des animaux, et les débarrasse de leur carapace. Il récupère ainsi la chair, d’un beau blanc translucide. Plongés dans l’eau bouillante, les scolopendres ont craché leur poison, et sont devenus presque comestibles. Il faut encore les rincer soigneusement.
Hong fait ensuite chauffer un chaudron d’huile et fait frire les mille-pattes jusqu’à ce qu’ils prennent une jolie couleur dorée, puis les assaisonne (Hong a toujours sur lui sept ou huit boîtes contenant les épices essentielles).
Yang Guo, bien que réticent au début, finit par se laisser convaincre, et goûte lui aussi aux scolopendres frits. C’est un véritable régal : la chair, croquante et juteuse, se révèle également très tendre et d’une douceur subtile…
Nous aurons certainement l’occasion de reparler de la gourmandise de Hong-le-septième et de la gastronomie dans l’œuvre de Jinyong, mais pas tout de suite. À l’épisode suivant, je parlerai du boucher de maître Zhuang…
(Pour une version plus « gastronomique » de ce billet, je vous invite à lire le pendant de cet article sur Sinogastronomie, ici.)
Ci-dessous, une prise de la scène dans laquelle Hong-le-septième cuisine les centipèdes, extraite de l’une des adaptations télévisées du roman de Jinyong (l’image vient d’ici) (le sous-titre dit : « Mais qui donc aurait le courage de manger des centipèdes comme Hong-le-septième ? ») :
hongqigong chi wugong

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